La réalité des choses

barnouic - 27 mars 2012 à 16:07
 Barnouic - 28 mars 2012 à 10:09
Voici un article de Dominique DUPAGNE sur son site atoute.org qui dresse un tableau assez fidèle de la réalité de la situation.

http://www.atoute.org/n/article198.html


Le beurre, l'argent du beurre, et la crémière libérale
Réponse à l'article du Pr Camilleri dans Le Monde

Ah ces méchants médecins libéraux qui se dorent la pilule au soleil pendant que les vieux agonisent dans leurs campagnes sous-médicalisées !
Le sujet est récurrent et chaque article sur les déserts médicaux reçoit son lot de commentaires poujadistes :

C'est nous qu'on paye, y'a qu'à les forcer à s'installer dans les campagnes, merde !

Les médecins libéraux ne réagissent plus à ces rodomontades. Ils savent que le vrai problème est plus grave : les médecins ne s'installent plus en libéral, nulle part, pas plus en ville qu'à la campagne. La médecine libérale est un enfer doré qui conduit à un taux de suicide supérieur à celui de France-Télécom et repousse les jeunes diplômés. Même les médecins installés dévissent leur plaque avant d'atteindre 65 ans, âge légal de leur retraite.
Si je réagis aujourd'hui, c'est parce que ce discours est tenu dans Le Monde par un confrère, professeur des Universités et responsable du pôle santé d'un "think tank" en vue.
Autant lire des âneries sur ma profession de la part d'un quidam est désagréable mais excusable, autant c'est insupportable sous la plume d'un confrère qui fait preuve à cette occasion d'une profonde méconnaissance de son sujet.
Il est impossible de conjuguer les avantages de différents systèmes sans en accepter les contraintes
Les médecins de ville sont des libéraux, c'est à dire qu'ils ne sont pas salariés. Il est faux de dire qu'ils sont payés par la collectivité. Certes, l'assurance maladie, par un contrat appelé Convention, reverse les charges sociales prélevées sur les salaires sous forme de remboursements et solvabilise ainsi la clientèle des médecins. Mais les libéraux ne sont pas plus payés par la collectivité que les peintres en bâtiment ou les garagistes ne le sont par les assureurs.
La productivité des libéraux est phénoménale
Les médecins libéraux ont une caractéristique difficile à appréhender par un médecin salarié comme le Pr Camilleri : leur très forte productivité.
Le regretté Raymond Vilain, célèbre pour ses aphorismes, avait fait scandale il y a 40 ans en écrivant à propos de ses éminents confrères :
Le seul plein-temps à l'hôpital, c'est le staphylocoque !
Il avait refusé d'être professeur salarié exclusif comme l'imposait la réforme de 1958, pour garder son activité libérale. Il brocardait par cette saillie ceux qui l'accusaient de ne pas pouvoir gérer son service à mi-temps.
À l'Assistance Publique de Paris, un médecin des hôpitaux consulte rarement plus de deux demi-journées par semaine. La "visite du patron" est passée de mode. Les chefs de cliniques et les internes gèrent les problèmes au quotidien. L'occupation des huit autres demi-journées du professeur est souvent mystérieuse, même si je ne sous-estime pas la lourdeur des tâches administratives, la charge d'enseignement et la fonction de recherche. Je suis conscient de donner moi aussi dans le cliché, mais ceux qui connaissent ce milieu de l'intérieur savent à quel point la faible productivité de certains hospitalo-universitaires est problématique.
Loin de moi l'idée manichéenne du fonctionnaire paresseux opposé au bourreau de travail libéral. Les hommes ne sont pas en cause. C'est le système qui modèle les comportements. Le libéral cherche et trouve en permanence des procédures pour augmenter sa productivité et chasse le temps gaspillé. Le salarié a d'autres préoccupations, qualitatives notamment, tout aussi respectables. Mais le constat est clair, la productivité n'est pas la même.
Dans un article récent, la revue Pratiques et Organisation des Soins (CNAMTS) propose un graphique qui compare les caractéristiques de la production de soins libérale et salariée au Québec

La productivité libérale dépasse le double de celle des salariés. En revanche, et logiquement, d'autres critères d'évaluation du soin sont meilleurs pour les salariés : notamment la globalité de l'offre. Pour l'accessibilité, la situation est complexe en France car les consultations hospitalières imposent des délais rédhibitoires, mais les urgences sont ouvertes à tous jour et nuit.
Le mirage du salariat au tarif libéral conventionnel
Cet aspect a échappé à certaines mairies qui ont tenté de mettre en place des Centres de santé conventionnés, avec l'idée naïve que les honoraires perçus auprès des patients ou facturés à l'Assurance Maladie permettraient de payer les salaires des médecins.
Mauvaise idée. Le gouffre financier résultant de ce mirage a conduit ces centres à la faillite après avoir creusé le déficit de ces mairies imprudentes. Pourquoi ? Parce que la productivité de ces centres était beaucoup plus faible que celle des médecins libéraux. Un médecin libéral peut vivre avec une consultation à moins de 30 euros en travaillant beaucoup et sans perdre de temps. Il ne sait pas ce qu'est une réunion pendant ses heures de travail...
Un centre faisant travailler des médecins salariés voit leur productivité s'effondrer et des frais connexes de secrétariat grever son maigre budget.
Une consultation réalisée par un médecin salarié coûte 80 euros
Nous avons une idée précise du coût d'une consultation réalisée par un médecin salarié grâce à la médecine du travail. Tout le monde connaît ces consultations systématiques financées par les employeurs. Elles sont proches d'une consultation de médecine libérale standard : questionnement, examen, dialogue, courrier éventuel. Or le coût d'une consultation en médecine du travail est de l'ordre de 80 euros. Si nous retranchons le bénéfice de la société commerciale qui emploie ces médecins, nous arrivons au chiffre de 70 euros.
Le calcul analytique du coût d'une consultation en centre de santé aboutit à un chiffre équivalent, voire supérieur, d'où la non-viabilité de ces centres hors subvention.
Une consultation par un médecin salarié coûte donc trois fois plus cher que les 23 à 28 euros de la consultation conventionnée du clinicien libéral. Par ailleurs, les médecins libéraux voient couramment 30 personnes par jour, et parfois bien plus. Un médecin salarié ne reçoit qu'exceptionnellement autant de patients en une journée.
Pour obtenir la production de soins de la médecine libérale avec des médecins salariés il faut tripler le budget que l'assurance maladie consacre à la médecine ambulatoire, et doubler le nombre de médecins. La France y est-elle prête ? Est-ce seulement possible ?
Seuls les salariés peuvent être affectés autoritairement à un poste de travail par leur employeur
Certains pensent comme le Pr Camilleri que ces arguments ne sont pas recevables et qu'il faut passer à des mesures coercitives pour contraindre les médecins libéraux à travailler dans les zones où les commerces, la Poste et l'école ont déjà plié bagage.
Ils oublient un détail : on peut limiter l'installation dans les villes, mais ce n'est pas pour cela que les jeunes iront s'installer à la campagne. Ils préfèreront remplacer ponctuellement ou régulièrement des médecins débordés, vieillissants ou souffrants. On peut restreindre l'installation dans certaines zones urbaines ou ensoleillées, mais on ne peut pas, légalement, forcer les jeunes libéraux à s'installer là où ils ne veulent pas aller.
Des mesures coercitives n'auraient aucun impact sur les zones sous-médicalisées, et dépeupleraient les zones épargnées jusqu'ici par la désertification. Les postes salariés en maison de retraite ou à l'hôpital et les remplacements suffisent à absorber quasiment tous les médecins généralistes formés, et il faudra 10 ans pour corriger cette situation car c'est le temps nécessaire pour former un médecin. Les autres spécialités vivent une situation très proche.
L'existence de zones surmédicalisées est un mythe
Dernier point : il faut tordre le cou à l'idée qu'il existerait des zones surdotées et d'autres privées de médecins. Le désert est partout car les médecins libéraux ne s'installent plus nulle part. Certains arrondissements de Paris ont une densité de médecins généralistes inférieure à celle de départements ruraux. Il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul : tout le monde est en train de s'enrhumer.

La pyramide des âges de la médecine libérale (toutes spécialités) montre que l'âge moyen est élevé et que les maigres arrivées ne compensent pas les départs imminents (source CNOM).
Savez-vous pourquoi nous en sommes là ? Parce que les Ministres sont conseillés depuis 20 ans par une caste hospitalo-universitaire du calibre du Pr Camilleri, qui n'ont aucune connaissance de la médecine libérale ni respect pour les praticiens de terrain. La médecine libérale n'a pas résisté à leur vision hospitalo-centrée de la médecine. Et il est trop tard pour revenir en arrière.
Si vous voulez restaurer un maillage géographique de médecins généralistes, de pédiatres, de chirurgiens, d'accoucheurs, c'est très simple : créez des postes de médecins fonctionnaires et lancez des appels à candidatures. Mais il faudra ouvrir le portefeuille, car les hôpitaux ruraux, confrontés au même problème, n'attirent généralement que des médecins étrangers avec les maigres salaires proposés. Prévoyez de tripler au minimum le budget actuel de la médecine libérale et de doubler les effectifs médicaux pour aboutir à la même "production" sanitaire. Prévoyez aussi dans l'environnement proche des commerces, une poste et une école, car tous les médecins ne sont pas des ermites célibataires et l'argent n'est pas tout. Même à prix d'or, les jeunes diplômés n'iront pas s'enterrer dans un désert social.
Les médecins hospitalo-universitaires parisiens, maîtres de l'université, interlocuteurs quasi exclusifs des ministres, ont eu la peau de la médecine libérale. Ils pourraient avoir la décence de cultiver la discrétion, face au désastre dont ils sont en grande partie responsables.
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2 réponses

maydo Messages postés 2715 Date d'inscription mercredi 9 novembre 2011 Statut Modérateur Dernière intervention 1 février 2018 708
27 mars 2012 à 21:11
Bonsoir,
Dernier point : il faut tordre le cou à l'idée qu'il existerait des zones surdotées et d'autres privées de médecins. Le désert est partout car les médecins libéraux ne s'installent plus nulle part. Certains arrondissements de Paris ont une densité de médecins généralistes inférieure à celle de départements ruraux. Il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul : tout le monde est en train de s'enrhumer. 


Je commençais à croire que j'étais la seule à faire ce constat.
J'ai beau habiter proche d'une grande ville (bon bien sur c'est dans le nord ouest) n'empêche qu'il faut être patient pour obtenir un rendez vous.
Chez le généraliste, il faut attendre 2 jours même pour une urgence, mais pour un spécialiste c'est au moins 6 mois.

Il y a peut être un autre constat à faire, la nouvelle génération de médecin consacre un peu plus de temps à leur vie privée, et c'est loin d'être un reproche.
Je m'explique :
Mon médecin qui me suivait quand j'étais gamine consulte de 8h-12h à 13h00- 20h30
Mon médecin actuel tout juste 38 ans consulte de 9h-12h à 14h-18h

Ce qui serait génial c'est de nous trouver le nombre de cabinet de généraliste il y a 20 ans - 10 ans et maintenant par rapport au nombre d'habitant.


Merci Dr barnouic pour cet article ainsi que tous les autres !
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Bonjour Maydo,

L'image du médecin vénal qu'attireraient les commodités de la vie urbaine, et qui préféreraient soigner la clientèle aisée des villes est un effet un mythe , c'est juste une idée, constamment colportée par la Presse aux ordres , pour reporter sur les médecins libéraux la responsabilité de la pénurie et de la catastrophe à venir....Cette notion constamment distillée commence toutefois à faire un peu long feu .....Ils vont devoir trouver autre chose !!

Notons tout de même que le prix du mètre carré immobilier a Paris se situe autour de 8000 euros -là on est dans le vrai monde- soit pour un cabinet de 80 mètres carrés la modique somme 640 000 euros .....avec un emprunt sur 15 ans on parvient au double ....sans parler ces frais de secrétaire de mise au norme de places de parking obligatoires aux frais du professionnel etc ....comment même imaginer qu'un médecin, rémunéré 23 euros la consultation -dans le monde de la sécu- , puisse espérer s'installer ....c'est une vaste plaisanterie....mais ça on ne le lit jamais dans Ouest France.......

Et la Suisse ou l'Angleterre lui tendent les bras grands ouverts....

Maintenant, il est vrai qu'en France la conception qu'ont, désormais, les jeunes de leur métier a aussi évolué , les RTT, les 35 heures sont passées par là , au nom de quoi voudrait on que les médecins en soient exclus , sans de surcroît aucun avantage compensatoire- les médecins sont des gens comme tout le monde ils ont aussi une famille et vous savez, je pense que pour correctement faire ce métier il faut aussi savoir consacrer une part de son temps à faire autre chose : un hobby une association une vie culturelle des voyages etc ....En quelque sorte à la manière d'Hippocrate quoi....!-)))

Les mentalités ont évolué, le métier s'est féminisé , les femmes -et on les comprend -n'ont aucune envie de se laisser aller aux dérives stakhanovistes d'antan, par ailleurs la population du pays a globalement vieilli , et ses besoins de soins ont augmenté , la comparaison avec les densités médicales d'il y a 20 ans ne seraient guère significatives , toutefois cette densité depuis quelques années a déjà commencé, en valeur absolue, à décroître.
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