Pourquoi les larmes font du bien
Si l’énigme de leur mécanisme physiologique est résolue, on s’interroge toujours sur leur psychologie. Pourquoi pleure-t-on ? Le point sur les dernières hypothèses.
Laurence Janin-Schlemmer
Femme qui pleure, homme qui crie.Hommes, femmes, enfants, nous pleurons tous. De chagrin, de douleur, de rire. Parfois aussi pour le plaisir, comme certains inconditionnels du film Titanic, savourant, plus que les effets spéciaux ou l’idylle romantique, les larmes versées à chaque projection. On pleurerait donc parce que l’on éprouve une émotion ? Pas si simple. Si l’énigme du mécanisme physiologique des larmes est depuis longtemps résolue, sociologues, ethnologues, thérapeutes et historiens s’interrogent toujours sur leur psychologie. Dans son récent livre, Crying, the Natural and Cultural History of Tears (Norton, 1999), Tom Lutz, professeur de littérature aux Etats-Unis, a réuni les derniers travaux sur le sujet.
Le calme après la tempête
"Pleure un bon coup, ça te fera du bien !" Oui, mais comment ? Ce ne sont pas les larmes elles-mêmes qui agissent en baume miraculeux, mais un processus cathartique, au même titre que le cri primal (crée par Arthur Janov, cette technique "dure" de respiration amène le patient à une regression profonde, parfois jusqu’à sa naissance, qui l’aide à revivre ses premières souffrances.), explique le docteur Alexander Lowen, fondateur de la thérapie bioénérgetique (thérapies visant à rendre à l’individu son équilibre en l’aidant à libèrer son énergie vitale.). En pleurant, nous libérons le corps de ses tensions. Lowen va plus loin : "Pleurer évite la spirale infernale des angoisses et de la dépression."
Une théorie qui n’aurait vraisemblablement pas plu à Freud. Le psychanalyste mettait sérieusement en doute l’effet purificateur et libérateur attribué aux larmes depuis les Grecs et les Romains. Pour lui, pleurer indique que l’on a pleinement retrouvé la mémoire d’un événement traumatique, mais seule sa mise en mots joue un rôle thérapeutique. Qualifié parfois d’inutile – pleurer ne participe pas à notre survie et, quand nous avons peur, nous distrait même d’un comportement autoprotecteur comme la fuite –, l’acte de pleurer est pourtant ressenti comme apaisant par 85 % des femmes et 73 % des hommes (étude William Frey, 1985).
L’explication se trouve peut-être du côté du système nerveux. Chargé de rétablir le calme après une accumulation de tensions dans le corps, le système parasympathique déclencherait en même temps les larmes. Donc, si elles n’en sont pas la cause directe, elles accompagnent le soulagement que nous ressentons.
Quatre bar-mitsva et un enterrement
Chez les Maoris en Nouvelle-Zélande, quand deux amis sont réunis après une longue séparation, ils s’assoient et pleurent. Sont-ils émus de se retrouver ? Peut-être, mais, respectant leur code culturel, ils pleurent avant tout pour honorer la mémoire de ceux qui sont morts pendant leur éloignement.
Pleurer possède aussi une fonction culturelle où l’émotion n’est pas forcément prédominante. Aux bar-mitsva juives ou lors des remises de diplôme, les larmes des proches témoignent de la reconnaissance des nouveaux rôles que les jeunes gens vont jouer dans la société. Mais plus cette dernière est individualiste (comme dans les pays anglo-saxons), plus l’émotion est privée et la retenue de mise. Jackie Kennedy, en s’interdisant la moindre larme à l’enterrement de son mari, a conquis un statut d’héroïne mythique aux Etats-Unis. Le même scénario transposé dans un pays où la peine est vécue de façon communautaire aurait fait d’elle un monstre sans cœur.