Autisme ordinaire

Barnouic - 5 févr. 2012 à 20:02
Dr Paul Lemeut Messages postés 102 Date d'inscription mardi 27 juillet 2010 Statut Contributeur Dernière intervention 16 décembre 2012 - 5 févr. 2012 à 23:11
Santé : un incurable autisme politique
Publication: 4/02/2012 23:29

Jean De KERVASDOUE Professeur titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM)






Ils n'en parleront pas, ou si mal, ou si peu, de cette inquiétante et coûteuse déliquescence du secteur de la santé. Si l'on peut s'attendre ici à la défense d'un très contestable bilan, et ici comme là, à une générosité à crédit, on peut affirmer qu'aucun parti politique n'analysera en profondeur la situation de ce secteur et ne saura se projeter dans un avenir, certes prévisible, mais bien différent du passé, fut-il récent. En revanche, on peut annoncer l'enfoncement d'une usine de portes ouvertes et le rabâchage de lieux communs portant notamment sur la prévention, la démographie médicale, l'installation des médecins dans les zones « désertiques » ou le plafonnement de leurs honoraires.

Faut-il avoir la cruauté de rappeler au Parti Socialiste qu'aucune des trois - parmi cent-dix- propositions du candidat Mitterrand, toutes celles donc qui portaient sur la santé, aucune n'a été suivie d'effet. L'ordre des médecins est bien vivant, le secteur privé à l'hôpital public n'a pas été abrogé, quant aux « centres de santé intégrés » que l'on veut recréer aujourd'hui sous uns autre nom (« les maisons de santé pluridisciplinaires »), cette excellente idée a été tuée dans l'oeuf, malgré l'expérience de Saint-Nazaire, grâce aux efforts conjoints de Force Ouvrière et de la Droite de l'époque. Quant à la majorité actuelle, elle n'aura même pas réussi, malgré d'importants déremboursements et de nouveaux impôts, à réduire le déficit structurel du financement des dépenses dites « de santé » (1) et a fortiori son déficit dû à la crise. Elle aura par ailleurs accru le centralisme bureaucratique d'un Etat déjà trop présent, dépensé inutilement à l'occasion de la grippe H1N1 de l'argent qu'elle n'avait pas, amplifié les oscillations d'un yo-yo démographique que nos arrières petits-enfants payeront encore dans quarante ans, bâti au nom d'une bien tardive vertu des règlements inapplicables en matière de politique du médicament. Certes elle se prévaudra d'avoir tenu dans les enveloppes votées en 2010 et 2011, mais n'est-ce pas la moindre des choses quand on vote la croissance d'un secteur dans une économie en récession?

Aujourd'hui, le système de santé le plus cher au Monde, après les Etats-Unis d'Amérique, représente plus de 12% du PIB. Il sera déficitaire de plus de 10 milliards d'Euro en 2012 (0,5% du PIB), alors que le « trou » de la sécurité sociale dépassera les 30 milliards, soit pratiquement le budget de l'enseignement supérieur ! Pourtant les Français vivent moins vieux que les Italiens ou les Espagnols qui dépensent moins et leur espérance de vie est inférieure de deux ans à celle des Japonais qui, toutes choses étant égales par ailleurs, dépensent 60 milliard d'Euro de moins pour leur santé (3% du PIB). Au delà d'environ 7,5% du PIB consacrés à la « santé », plus d'argent dans la médecine n'améliore pas nécessairement la santé de la population. La santé n'est pas la médecine, même si cette dernière y contribue, pas plus que la médecine n'est toujours la santé (chirurgie esthétique, procréation médicalement assistée ...). C'est d'ailleurs une grande victoire idéologique des professions et des industries médicales de nous avoir fait croire que « médecine » et « santé » étaient synonymes. Nous savons aussi que si la prévention peut-être source d'une vie meilleure, en général elle n'est pas source d'économie car, quand elle réussit, elle ne fait que reculer l'âge de la mort. Oui, la vie est encore, toujours, une affaire qui se termine mal et le bénéfice de la prévention est rarement économique sauf pour l'alcoolisme, le diabète et l'obésité. Si les alcooliques anonymes peuvent se prévaloir d'un succès notable, la prévention de l'obésité et du diabète n'est pas aisée et quand ces états se déclarent on ne sait pas encore comment fonctionnent la marche arrière d'autant que les régimes sont tout autant cause que limite du surpoids.

Quant au dépistage en population générale, son bénéfice a été démontré pour le cancer du col de l'utérus et le cancer du sein pour les femmes entre 49 et 69 ans. Pour les autres, sans signe clinique particulier, ce n'est pas le cas et dans les deux cas ci-dessus les bienfaits sont significatifs mais minces. Ainsi, le dépistage du cancer du sein ne détecte qu'un cancer sur 1 500 personnes participant au dépistage. Cela ne veut pas dire qu'il faille cesser de financer ces campagnes, mais le bénéfice est mince.

Si la France a une inflation spécifique, ce n'est pas du fait du vieillissement ou du progrès techniques, les deux excuses le plus souvent données pour justifier notre incapacité. L'efficacité du Japon, encore lui, a une population bien plus âgée que la nôtre, il dispose par ailleurs de six fois plus d'IRM et de scanners que la France par million d'habitants et est très sensiblement moins cher ! Non le système de soins français est onéreux parce que :

Nous avons 3500 établissements hospitaliers, alors qu'il y en a 2080 en Allemagne et 640 au Royaume-Uni,
Nous hospitalisons 70 % de malades de plus que les pays comparables ; en effet l'hôpital, dans les quartiers défavorisés, devient le généraliste des pauvres,
Nous avons beaucoup de médecins (3,4 pour mille habitants en France et en Allemagne), quand il y en a à peine plus de deux dans les pays anglo-saxons
Ces derniers, en revanche ont cinq infirmières par médecin et nous 2,5
Le nombre de spécialistes dépasse maintenant le nombre de généralistes,
Nous prescrivons beaucoup de médicaments et d'actes

Si nous sommes chers c'est que nous choisissons le plus cher : l'hôpital plus que la ville, les spécialistes plus que les généralistes, les médecins plus que les infirmières et des médicaments très au-delà du nécessaire.

Par ailleurs, soulignons que les pratiques cliniques ne sont pas contrôlées en France, contrairement à beaucoup de pays libéraux, à commencer par les Etats-Unis où des sociétés comme MEDCO (60 milliards de dollars de chiffre d'affaire) sont payées par les compagnies d'assurance pour contrôler le bien-fondé des prescriptions des médecins à leurs assurés. Or, nous avons montré avec d'autres, que les pratiques cliniques en France variaient grandement sur le territoire national, que les dépenses en cardiologie, par exemple, n'avaient rien à voir avec les maladies cardiaques, oui, rien ! Aucune conclusion n'a été tirée de ces travaux qui datent de ...1995. Qui, pendant cette campagne parle de la nécessité de s'assurer, au nom de la qualité des soins, du contrôle des prescriptions médicales et chirurgicales ?

Que veut dire le « plafonnement des honoraires » quand un généraliste conventionné en secteur 1 gagne 69 Euro de l'heure, soit le revenu horaire d'un taxi quand il est à l'arrêt ? Ne sait-on pas que les pays qui ont tenté de réguler l'installation des médecins libéraux n'y sont pas parvenus. Demain donc, les jeunes médecins, dont 60% sont des femmes, n'iront pas s'installer dans des déserts médicaux, ils attendront qu'une place se libère dans la région de leur choix et, en attendant, travailleront à l'hôpital. Les déserts médicaux sont aussi des déserts démographiques, certes il faut y assurer le service public, j'en suis un farouche partisan, mais pas en prenant des mesures générales.

Le système doit être réformé parce que les malades errent d'une spécialité à l'autre, parce que l'exercice libéral de 1927 ne correspond plus à la nature de la médecine contemporaine et à la demande des malades. Il faut notamment redéfinir le rôle et la rémunération des généralistes. Quant aux professions paramédicales, elles sont de grande qualité. Il faut enrichir leurs tâches et cesser de les pénaliser comme elles le sont, en ville, depuis une trentaine d'années. De son coté, l'hôpital croule sur une incontinence bureaucratique et une rigidité d'un autre âge. Il va s'étouffer de la main mise de l'Etat, car la récente réforme lui a enlevé toute autonomie et organisé une ligne hiérarchique directe entre Gouvernement, Agence régionale de santé et hôpital. La régulation bureaucratique est toujours aussi politique ; or Politiques et Bureaucrates n'aiment pas les esprits indépendants, ils aiment ceux qui leur laissent croire qu'ils obéissent. Il faut donner une indépendance structurelle à l'hôpital, laisser les établissements universitaires négocier librement avec les facultés de médecine et non pas tout réguler et rentrer dans le moindre acte de gestion.

On peut donc penser que ne s'attaquant pas aux vrais problèmes les dépenses de santé vont continuer de déraper, qu'au mieux le déficit sera stable jusqu'au jour où les choses sérieuses, c'est-à-dire la maîtrise de la croissance commenceront sous la contrainte, dix-huit mois, deux ans peut-être. Nous l'appelons de nos voeux car nous savons car les pays les plus inégalitaires sont aussi les plus laxistes.

(1) Il s'agit pour plus de 99% de dépenses médicales.
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1 réponse

Dr Paul Lemeut Messages postés 102 Date d'inscription mardi 27 juillet 2010 Statut Contributeur Dernière intervention 16 décembre 2012 33
5 févr. 2012 à 23:11
A peu de choses prêt, ce qui m'a amené à quitter la médecine générale. Merci d'avoir signalé ce texte d'un auteur bien connu pour son impertinente pertinence.
Faisons de beaux rêves.
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